La tuile. Alors que depuis des mois, le gouvernement s’était efforcé de déminer le dossier des intermittents du spectacle, la proposition du Medef de supprimer les annexes 8 et 10 - qui régissent le régime spécial de chômage des artistes et des techniciens - a eu pour effet de mettre le feu aux poudres dans un secteur jusque-là relativement épargné par la grogne. Lundi encore, la Marche pour la culture convoquée par la CGT du spectacle et une dizaine d’autres organisations, n’avait rassemblé que quelques centaines de manifestants autour de slogans plutôt flous. Mais, depuis mercredi soir, les signaux sont passés au rouge.

Hier après-midi, plusieurs dizaines d’intermittents occupaient le hall du nouveau bâtiment du ministère de la Culture, rue des Bons Enfants à Paris. Ils exigeaient d’Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, et de Michel Sapin, son collègue du Travail, une assurance écrite «garantissant qu’il n’y aura aucun agrément d’un accord sur l’assurance chômage qui ne prévoie pas le maintien des annexes 8 et 10».

A ce stade, toutefois, alors que les négociations se poursuivent, le gouvernement peut difficilement donner l’impression aux partenaires sociaux que c’est lui qui fixe les règles, «sauf à revenir sur les acquis du paritarisme», comme le faisait remarquer Aurélie Filippetti dans Libération le 23 janvier. Ce qui n’a pas empêché la ministre de réagir à l’annonce du Medef hier, la qualifiant de «provocation». «Ils ont essayé d’agiter un chiffon rouge», a-t-elle ajouté, en rappelant qu’elle et Sapin avaient «à de multiples reprises» défendu le statut des intermittents. «Depuis un an, le travail qui est fourni avec l’Assemblée et le ministère du Travail est très clair : il faut arrêter de considérer les intermittents comme des boucs émissaires.»

Pour l’organisation patronale, les choses sont simples : avec un déficit de 1,08 milliard d’euros annuel, le coût des annexes 8 et 10 n’est plus supportable pour l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic). Le système actuel prévoit que 507 heures de travail sur dix mois sont nécessaires pour être indemnisé pendant huit mois. Les intermittents (112 000 indemnisés en 2012) ne représentent que 3,5% des allocataires de l’assurance chômage, mais leur régime spécifique pèse le quart du déficit de l’Unédic. Pour le Medef, il s’agit de «rétablir l’équité» selon le principe «indemnités chômage égales à cotisations égales».

A charge pour le gouvernement, s’il le souhaite, d’assumer le «surcoût du traitement plus favorable […] au nom de l’intérêt général». Une approche comptable battue en brèche par un rapport de la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, adopté en 2013, qui estimait le surcoût du régime des intermittents non pas à un milliard, mais à 320 millions d’euros. Dans un autre rapport, remis en décembre, l’Inspection générale des finances estimait la «valeur ajoutée des activités culturelles» à 57,8 milliards d’euros, dont une bonne part repose sur l’existence de l’intermittence. Des chiffres qui faisaient plutôt consensus entre gauche et droite.

René SOLIS